Le Grand Homme de la Haute Assemblée

Le Grand Homme de la Haute Assemblée
Avant-propos du catalogue de la Maison Littéraire de Victor Hugo

Victor Hugo est l’écrivain français le plus célèbre et le plus lu dans le monde entier. On ne s’étonnera pas qu’au-delà de nos frontières, les étrangers qui admirent notre culture fassent à ce grand lyrique l’hommage d’expositions ou de musées. En revanche, il est plus rare et plus émouvant que nos amis étrangers veuillent exalter la gloire de Hugo sur notre sol même. Or, c’est bien ce que des Japonais ont choisi de faire en France.

M. Daisaku Ikeda, qui préside une grande association dans son pays, a restauré non loin de Paris, un château dont les hôtes avaient grande réputation. Notre poète national en fut le plus illustre. Dans cette propriété, M. Daisaku Ikeda crée la « Maison Littéraire de Victor Hugo ». Au nom du Sénat de France, je salue cette noble initiative et ce passionnant musée.

Nous autres, Sénateurs, nous avons les meilleures raisons du monde d’y être sensibles, car Victor Hugo est aussi le Grand Homme de la Haute Assemblée, et sûrement le plus célèbre de tous ceux qui siégèrent dans son hémicycle. C’est si vrai, qu’il y a un siècle, le Sénat a décidé d’honorer Victor Hugo en lui dédiant, près de la Salle des Séances, un des plus beaux salons du Palais du Luxembourg. Le buste du poète y domine.

La carrière parlementaire de notre Grand Homme s’est déroulée, pour la plus large part, dans notre Palais. Dès 1845, le « Vicomte Hugo », comme il aime à signer, est nommé « Pair de France » par le roi Louis-Philippe. C’est un homme de cœur qui monte bientôt à la tribune de la Chambre Haute, et qui tout de suite, trouve des accents admirables en faveur des opprimés.

La Révolution de février 1848 fait du Vicomte un député. Hugo découvre sa vocation républicaine. Elle s’affirmera de plus en plus et vaudra au poète un exil de vingt ans, après le coup d’État du 2 décembre 1851, perpétré par Louis-Napoléon. Ce coup d’État, Hugo l’avait prévu.

Partisan décidé du Bicaméralisme, Hugo avait refusé de voter la Constitution républicaine du 4 novembre 1848, car elle ne comportait pas de Chambre Haute. Le 5 novembre, Hugo écrivait dans Le Moniteur : « L’institution d’une assemblée unique me parait si périlleuse pour la tranquillité et la prospérité d’un pays, que je n’ai pas cru pouvoir voter une Constitution où ce genre de calamités est déposé. Je souhaite profondément que l’avenir me donne tort. » Quelle lucidité !

Après la chute du Second Empire, les lois constitutionnelles de 1875 rétablirent un Sénat. Aux premières élections de janvier 1876, Clémenceau, au nom du Conseil municipal de Paris, proposa au poète d’être élu sur la liste républicaine. Et Victor Hugo sera Sénateur de la Seine jusqu’à sa mort en 1885.

Le Sénat a rendu un autre hommage exceptionnel à Victor Hugo, en faisant apposer dans notre Salle des Séances, une plaque sur le pupitre qui fut celui du poète, avant d’être celui de Clémenceau.

Durant son ultime décennie, soucieux d’en finir avec les drames de la Commune, Hugo ne cessa de réclame à la tribune la « justice du pardon ». Parmi les trésors de ses archives, le Sénat conserve le texte original, retouché par l’auteur lui-même, du premier des plaidoyers qu’il prononça, le 22 mai 1876, pour l’amnistie des Communards. Une émouvante correction résume toute la philosophie de ce discours, après avoir dicté : « La France ouvre ses bras, en disant… », Hugo trouve les mots qu’il fallait et les ajoute de sa main : « Je ne sais plus qu’une chose, c’est que vous êtes tous mes enfants ! le reste, je l’ai oublié. »

La Maison Littéraire de Victor Hugo créée par M. Daisaku Ikeda est dédiée à Victor Hugo, homme de lettres. J’ai pensé opportun de rappeler quel souvenir le poète a laissé également dans notre histoire politique et parlementaire.

Alain POHER
Président du Sénat
de 1968 à 1992