De Paris à Tokyo …

De Paris à Tokyo …
Préface du catalogue de la Maison Littéraire de Victor Hugo

André Malraux me confiait un jour – c’était, il m’en souvient, pendant la guerre, sous l’occupation et nous étions tous deux sous l’uniforme de la Résistance – « Les civilisations se développent toujours autour des bassins maritimes. La civilisation c’est d’abord celle de la Méditerranée, du Moyen-Orient, de la Grèce, de Rome, – aujourd’hui elle est celle de l’Atlantique, de l’Europe à l’Amérique, – demain elle sera celle du Pacifique et Paris se reliera à Tokyo. »

De Paris à Tokyo… Aujourd’hui la Soka Gakkai Internationale a acquis le château des Roches, à Bièvres, la propriété dont Louis-François Bertin, le célèbre Directeur du Journal des Débats (son portrait par Ingres est illustre), fit un centre des lettres et des arts : elle y crée un musée, la Maison Littéraire de Victor Hugo, qui en fut l’hôte assidu le plus illustre.

C‘est en 1804 qu’approchant de la quarantaine Bertin l’aîné fit l’acquisition de ce château : quatre ans plus tôt il avait acheté le fameux Journal des Débats qu’il dirigea jusqu’à sa mort en 1841, malgré les interruptions imposées par Napoléon Ier qui le suspendit de 1807 à 1814. Ce fut le quotidien le plus important du XIXe siècle. Bertin voulut faire de son château un centre d’accueil des intellectuels les plus éminents de sont temps : le premier fut Chateaubriand qui partageait l’hostilité de Bertin pour Napoléon ; le plus assidu fut ensuite Victor Hugo entre 1831 et 1845 ; dès la première année il y écrivit Les Feuilles d’automne, puis entre 1834 et 1837 Les Chants du crépuscule, qu’il composa dans l’île de l’étang, puis Les Voix intérieures, la Tristesse d’Olympio, etc.

Nous connaissons son itinéraire familier : il prenait le coche de la Place Royale jusqu’à Sceaux, où une correspondance lui permettait d’atteindre Bièvres ; il y amenait femme et enfants (Didine et Charlot) et passait les « douces journées » et les « douces soirées » qu’il a évoquées ; il y appréciait la compagnie de la fille de Bertin, Louise, poète musicienne, qui composa sur un livret rédigé par le poète un opéra : La Esmeralda, dont l’insuccès fut notoire. A la mort de son père elle hérita des Roches qu’elle conserva jusqu’à sa mort en 1877.

Quelle tentation d’y prolonger aujourd’hui la présence de Hugo ! La Soka Gakkai n’a pu y résister. Par les soins de son Président, Monsieur Daisaku Ikeda, elle a acquis la propriété en 1989 pour y créer un musée à la mémoire de Hugo ; ce musée répondra, à la campagne, à celui citadin, de la Place des Vosges. La présence de Victor Hugo y sera prolongée par un choix d’éditions originales rares, de manuscrits et de lettres autographes, et même de son cahier de compte, ou des messages qui lui furent adressés pour ses 83 ans…

Quel plus émouvant témoignage de la gloire mondiale de Hugo que cet hommage permanent rendu par un organisme où se concentre la vie spirituelle du Japon ! Monsieur Ikeda a pu déclarer : « Cette maison sera le pont entre deux civilisations, française et japonaise, et j’aimerais qu’elle devienne un point de référence pour la littérature du monde entier. »

René HUYGHE
de l’Académie Française