Message de M. Denis Lavalle, conservateur général honoraire du patrimoine
Dans le souffle du « vieux pensif des solitudes » : les trente ans de la Maison Littéraire de Victor Hugo de Bièvres
Voici un anniversaire qui ne peut étonner. Notre temps chahuté n’a jamais autant recherché les forces les plus vives de l’espérance humaniste et de l’attachement aux rameaux solides d’une culture fondamentale. Or, sur toutes les contrées de la terre, c’est Victor Hugo qui symbolise toujours le mieux le sens de la bonté et de la hauteur de l’Esprit. Les Misérables se lisent dans les universités de Moscou et il n’est guère de jeunes écoliers chinois qui méconnaissent le poème dédié à Léopoldine. Somme toute, il est logique que la fondation de la Maison littéraire de de Victor Hugo ait été entreprise sur les recommandations d’une haute personnalité de la culture au Japon. Sans doute cette fondation, sauvant le lieu, s’est ancrée dans une demeure où Hugo a séjourné à plusieurs reprises lors de ses premières gloires. Sans doute y voit-on présentés de remarquables documents hugoliens – si remarquables qu’ils ont été reconnus comme trésors nationaux – reliés aux œuvres les plus célèbres de l’écrivain. Mais le succès que la Maison littéraire rencontre, en particulier auprès du public scolaire, tient au fait qu’elle a choisi un angle assez unique pour aborder la connaissance du héros. Car il ne pouvait s’agir de reprendre ces musées hugoliens si essentiels que sont ceux de la place des Vosges où de Hauteville House. L’idée a bien été d’insister sur cette réflexion que Hugo mena de plus en plus profondément au cours de sa longue vie : la confrontation de sa pensée avec celle des grands créateurs ayant œuvré à une vision où l’art n’était point seulement recherché en ses propres formes mais comme devant servir à engendrer dans toutes les parts de l’humanité une élévation noble des sentiments et l’accomplissement d’une charité définitive : celle du cœur. Vision toute idéaliste, certes, et que ce chef du parti de « l’idéal » en littérature ne pouvait que défendre. On sait que Flaubert s’en moqua et que Baudelaire s’en trouva maintes fois dubitatif. Il n’en demeure pas moins qu’une pareille vision porta le poète à l’action, aux luttes les plus déterminantes pour l’éducation et la liberté des êtres.
Il est donc fort passionnant qu’au sein des recherches menées par la Maison Littéraire de Victor Hugo aient été mises en place ces suites d’expositions présentant le dialogue entre Hugo et ces « grands hommes » qu’il comprenait comme un enchaînement d’esprits élevés travaillant toujours aux valeurs optimistes de la création humaine. Shakespeare, Romain Rolland, George Sand, Balzac, Dumas, ou Berlioz ont été ainsi associés à la pensée hugolienne et ont permis au public de prendre en compte non seulement l’envergure de sa personnalité mais le mouvement large des meilleurs esprits qu’il entendait voir s’unir à lui, hors du temps, comme une constellation d’astres bénéfiques. De là l’intérêt de la Maison Littéraire de Victor Hugo où, dans la cadre paisible d’un parc sauvegardé, élèves et professeurs, visiteurs de toutes nations, partagent la découverte d’un héros national porté à l’écoute des autres. L’image du poète s’amplifie singulièrement. Pour beaucoup il demeure encore cet homme isolé dans les luttes, le proscrit de Guernesey, l’idéaliste du refus de la misère ou le rêveur devant l’océan immense. Si Victor Hugo s’est défini face à Verlaine comme le « vieux pensif des solitudes » ce n’est pas pour chanter un individualisme créateur. Mais bien plutôt pour signifier à quel point il entendait, loin des péripéties fugaces, écouter et participer au chant du monde. C’est à son universalité que s’est attachée la Maison Littéraire de Bièvres. Nul doute qu’un pareil objectif lui assure pour longtemps encore un ancrage fort, une certitude de longévité.