Message de M. Charles Bonaparte,
écrivain, président de la Fédération européenne des cités napoléoniennes
Les précieux manuscrits de l’auteur des Châtiments rassemblés à la Maison Littéraire de Victor Hugo apportent un éclairage original sur un aspect peu connu de la pensée politique de Victor Hugo. Ils méritent que nous leur accordions une attention nouvelle à l’occasion de la célébration du trentième anniversaire de la Maison Victor-Hugo.
Victor Hugo naît en 1802, quelques mois avant Austerlitz, d’un père général d’Empire et sera élevé dans le culte de l’Empereur. Chef de file des romantiques, il réhabilite Napoléon 1er après Sainte-Hélène en le dépeignant sous les traits du héros du peuple français. Il défend la candidature de son neveu à la présidence de la République en 1848 mais devient son plus féroce contempteur après le coup d’État de 1851. On connaît ses diatribes contre un Napoléon le Petit qui singe l’Oncle et un Second Empire qui caricature le Premier. Cela lui vaudra l’exil à Bruxelles puis à Jersey et à Guernesey.
Les manuscrits de la Maison Littéraire de Victor Hugo révèlent que, celui qui deviendra une icône de la République, prend la défense des Bonaparte en exil et montrent l’attachement qu’il conservera, exilé par son neveu Napoléon III, pour Jérôme, le dernier frère de Napoléon vivant et pour son fils, le prince Napoléon, mon arrière-grand-père.
Attachement réciproque comme en témoigne l’ex-roi Joseph, l’aîné des Bonaparte, de son exil américain en 1841 : qui évoque « la vieille amitié qui me lie à tout ce qui porte votre nom », se souvenant du rôle tenu par le général Hugo à ses côtés pendant la guerre d’Espagne. Il rappelle la résistance de Victor Hugo à la Restauration : « votre chant sur la Colonne de la Place Vendôme …. [Le] refus que vous avez fait de la pension de six mille francs, dont on semblait vouloir enchaîner le sublime essor de votre muse indépendante et libérale. »
En 1847, nouveau cri hugolien du haut de la Pairie pour l’abolition de la Loi qui écarte le roi Jérôme, le cadet des Bonaparte, de France : « Messieurs les pairs, le frère de ce grand homme vous implore à cette heure. C’est un vieillard, c’est un ancien roi aujourd’hui suppliant. Rendez-lui la terre de la patrie ! Jérôme-Napoléon, pendant la première moitié de sa vie, n’a eu qu’un désir, mourir pour la France. Pendant la dernière, il n’a eu qu’une pensée, mourir en France. Vous ne repousserez pas un pareil vœu. »
En 1847, le roi Jérôme, finalement rentré d’exil, écrit à Mme Victor Hugo sa reconnaissance : « Je serai toujours heureux, Madame, de saisir toute occasion de passer quelques instants avec vous et votre époux qui le premier a si noblement pris la défense de l’exilé, et a si puissamment contribué à mettre un terme à (mon) exil ! » Et plus tard en 1850 : « J’espère vous rencontrer dimanche prochain, heureux que je serai de me trouver auprès de vous et de Monsieur Hugo que chaque jour j’aime et j’estime davantage ! »
Enfin, Victor Hugo rappelle en 1860 dans La Légende des Siècles l’épisode risqué où il se retrouva aux côtés de mon arrière-grand-père, le prince Napoléon, parmi les adversaires du coup d’État de décembre 1851 qui allait transformer le Prince-Président en Empereur des Français, la Deuxième République en Second Empire : « L’ordre de me fusiller, si j’étais pris, avait été donné dans les journées de décembre 1851. J’en avais été prévenu, dans la réunion qui eut lieu chez Landrin le 3 décembre, par le représentant Napoléon, fils de Jérôme, cousin de Louis Bonaparte, et faisant alors cause commune avec nous contre la trahison du président. Il m’avait même offert un asile chez lui, rue d’Alger n°5. Je n’ai pas usé de cet asile, mais je m’en suis souvenu, et c’est pour ce motif que je n’ai nommé ni Napoléon Jérôme, ni son père, quand j’ai dû attaquer l’empire. »
Ces écrits jettent un éclairage intéressant sur un homme toujours présenté comme un adversaire déterminé de Napoléon III, mais jamais comme un ami des Bonaparte.