Message de Mme Anne-Simone Dufief, professeur émérite de littérature de l’université d’Angers
Les maisons d’écrivains sont des joyaux de notre patrimoine. Nous sommes curieux de mettre nos pas dans ceux des écrivains et artistes que nous aimons. Nous ressentons confusément le besoin de partager leur intimité. Leurs œuvres nous ouvrent leur esprit, leurs maisons, leur quotidien, ce par quoi ils peuvent nous sembler proches, et devenir d’une certaine façon nos contemporains malgré les décennies écoulées. S’inscrivant dans une démarche patrimoniale, M. Daisaku Ikeda a acquis, en 1991, le château des Roches, belle demeure dans laquelle Bertin, le directeur du Journal des débats, recevait ses amis ; il l’a transformée en Maison Littéraire de Victor Hugo, car le grand poète est ici chez lui. En arrivant aux Roches, à Bièvres, on est d’emblée séduit par cette propriété si romantique. Le parc, en particulier, découvert à l’automne, est bien le cadre des beaux vers de Hugo « un de ces lieux où notre cœur sent vivre quelque chose des cieux qui flotte et qui l’enivre. » Les perspectives ouvrent sur la rivière, les collines, et une Tour en ruines ajoute au charme du lieu. On croirait voir l’original de certains dessins de Hugo. En entrant dans le château, grâce aux restaurations effectuées, aux meubles choisis, on peut se croire reçu par les Bertin : le piano du salon de famille est ouvert comme si un concert allait commencer.
Les pièces dédiées au poète témoignent d’un souci pédagogique éclairé. Le directeur, M. Moine, a su mettre en relief toutes les facettes de Hugo. Les vitrines sont garnies de photos, d’objets, de journaux, de livres précieux, souvent en édition originale, avec de beaux envois, de reliques. Elles illustrent les divers aspects du poète, du penseur, du romancier, de l’homme de théâtre ainsi que les temps forts d’une vie marquée par la gloire, les deuils, l’exil et les engagements politiques. « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent » lit-on dans Les Châtiments. C’est ce combat qui est le moteur de la création hugolienne, antagonisme entre deux principes en quête de l’harmonie.
Les salles d’exposition font dialoguer Hugo avec d’autres écrivains, de façon permanente ou lors d’expositions temporaires, permettant ainsi de situer l’homme et l’œuvre dans ce si long dix-neuvième siècle qu’il occupe presque entier, au point qu’on peut adhérer en cette année napoléonienne à cette déclaration d’Émile Augier : « Le dix-neuvième siècle sera-t-il celui de Napoléon ou de Victor Hugo ? Les paris sont ouverts. »
La Maison littéraire de Victor Hugo recèle également des trésors inestimables car son fondateur et son directeur sont des collectionneurs qui ont constitué un fonds littéraire exceptionnel. Nous avons été éblouis, en pénétrant dans le bureau coffre-fort où sont précieusement conservés des manuscrits de tous les grands auteurs mondiaux, depuis le XIIIe siècle, une Divine Comédie de Dante, imprimée en 1512, jusqu’à des écrits d’écrivains presque contemporains comme Malraux. Cette collection est si importante que certaines pièces ont été classées « Trésor national ». Nous avons pu voir les épreuves corrigées des Misérables, des Contemplations, de La Légende des Siècles et le brouillon d’un projet d’amnistie générale pour les Communards, « pour effacer toutes les traces de la Guerre Civile ». On est très ému aussi de lire les derniers mots écrits par Hugo trois jours avant sa mort : « Aimer c’est agir ».
La visite de la Maison littéraire de Victor Hugo ne s’oublie pas ; c’est un lieu passionnant et séduisant, où l’on sent l’implication constante du fondateur et de son équipe.