Discours de Daisaku Ikeda, fondateur,
Introduction du catalogue de la Maison Littéraire de Victor Hugo
Il y a chez Hugo « la poésie », « la flamme de l’âme », « le rythme de l’univers ». Mais on y trouve aussi « les cris déchirants » pour les opprimés, « la colère » contre le mensonge et l’injustice et « le désir passionné » de justice. Victor Hugo a été le compagnon de ma jeunesse. Ou plutôt, il est le compagnon de ma vie.
Un combattant des mots. Je ne connais personne à qui ce qualificatif convienne mieux qu’à Hugo. Partout, dans son bureau, dans la rue, dans les salons, à la tribune de l’Assemblée, même en exil, le grand écrivain ne pouvait se taire, il ne pouvait s’empêcher d’écrire. Aucune menace ne put jamais réduire au silence cette voix qui s’élevait pour la justice. Aucun des maux de ce monde, la pauvreté, l’injustice, le manque de liberté de la presse, l’inégalité des droits politiques, la peine de mort, n’échappèrent à ses yeux de justicier. Le silence est d’or et l’éloquence est d’argent. Comme pour les sages athéniens, les mots étaient pour Hugo la meilleure des armes, celle qui permettait à l’homme de révéler sa valeur d’être humain, et il utilisa cette arme au maximum. Il restera un combattant du verbe exceptionnel dans l’histoire de l’humanité.
Chez Hugo brille avec éclat cette émotion intense que l’esprit de l’homme moderne, affaibli, a peu à peu perdue. La force de la volonté qui existe dans Les Misérables ancrée comme un roc, cette force de l’écrivain qui n’a jamais cessé de se diriger vers le bien secoue mon âme encore aujourd’hui. Cet esprit fort qui jamais ne cède devant les attaques du mal, combien de fois m’a-t-il encouragé ! Comme m’a encouragé le regard décidé et empli de chaleur qu’il portait au peuple…
Il arrivait souvent à mon mentor, Josei Toda, de nous parler du personnage de Jean Valjean. À l’occasion de réunions où nous utilisions le roman Quatrevingt-treize comme texte d’étude, nous discutions avec passion de la révolution idéale pour l’humanité. Ces souvenirs restent pour moi inoubliables. Les œuvres de Hugo sont appréciées du peuple japonais. Les Misérables parurent pour la première fois au Japon à la fin de l’ère Meiji et furent publiés par la suite à maintes reprises, laissant une vive impression chez les nombreux lecteurs. L’histoire de Jean Valjean est largement connue, même chez les enfants. En Orient comme en Occident, quelles que soient les époques, tant que l’homme sera l’homme, l’œuvre de Hugo continuera de fasciner.
Parlant de lui-même, Hugo écrit : « Je suis comme la forêt qu’on a plusieurs fois abattue : les jeunes pousses sont de plus en plus fortes et vivaces. » Son regard perçant démasquait sans faillir l’injustice, le mensonge, l’hypocrisie, ne laissant aucune possibilité à toute forme d’autorité d’y échapper. Quelques mois avant sa mort, refusant la présence d’hommes d’Église à ses funérailles, il cria : « Vérité, lumière, justice, conscience, c’est Dieu. » Le pouvoir qui oppresse et brise la force et l’éclat de l’homme était pour lui absolument intolérable.
Dans sa conception des « États-Unis d’Europe », il aspirait à l’union des hommes libres. À l’époque où l’union de l’Europe se fait jour, cet idéal devient réalité. L’aube est maintenant proche. Ce rayon de soleil illuminera bientôt le monde entier. Victor Hugo attend ce jour. Comme il l’a écrit dans son testament, son œil terrestre s’est fermé mais l’œil spirituel reste grand ouvert, regardant le monde à venir.
Grâce au concours et au soutien de nombreuses personnes, il nous a été possible de créer la Maison Littéraire de Victor Hugo, au château des Roches à Bièvres. Je souhaite que cette maison permette de renforcer encore davantage les liens entre la France et le Japon, et je serais particulièrement heureux si elle permettait à l’âme immortelle du grand poète de conduire les hommes vers l’universalité.