Allocution

Allocution prononcée par M. Daisaku Ikeda, fondateur,
à l’occasion de l’inauguration, le 21 juin 1991.

En tant que fondateur de cette maison littéraire Victor Hugo, je suis très honoré de votre présence ici aujourd’hui, en dépit des multiples occupations qui sont les vôtres, vous qui représentez la France grand pays de culture. Ma gratitude va également aux représentants officiels de vingt pays du monde qui ont eu la grande amabilité de se joindre à nous.

J’ai eu l’honneur de recevoir un message du président de la République française, M. Mitterrand : « Je souhaite que l’inauguration de votre maison littéraire soit un grand succès. » Et de cela aussi, je suis sincèrement reconnaissant.

La lumière irradiée par cette grande âme que fut Victor Hugo, ce phare de la littérature française du XIXe siècle, continue de briller de tout son éclat dans bien des domaines, au-delà des limites du temps et de l’espace. C’est le souhait de garder à la littérature de Hugo ce rayonnement très large qui a présidé à la création de cette maison des Roches, à laquelle il fut très attaché, afin qu’elle soit comme un arc-en-ciel vers le nouveau siècle.

Dès que fut annoncée la création de cette maison littéraire à la gloire de Victor Hugo, un très grand nombre de personnes intéressées par ce projet nous ont offert leur collaboration, en France aussi bien que dans d’autres pays du monde. Je suis très touché de la sincérité avec laquelle ces personnes ont aidé à la renaissance de ce « Château de la littérature », en vérité, Château du peuple cher au cœur de Hugo.

Comme il est si bien dit dans ces vers de Hugo gravés sur une plaque dans le jardin. Bièvres est un de ces lieux, « dont la beauté sereine, inépuisable, intime, verse à l’âme un oubli sérieux et sublime de tout ce que la terre et l’homme ont de mauvais. » En ce site dont la beauté me touche profondément, j’aimerais que cette maison soit tout d’abord aimée par les habitants de cette région et qu’elle constitue une de leurs grandes richesses.

Comme pour tant d’autres de par le monde, Hugo fut pour moi un précieux compagnon de jeunesse. C’est au milieu du fracas de la Seconde guerre mondiale, à l’âge de quatorze ou quinze ans, que je fis la rencontre de son chef d’œuvre, Les Misérables. L’un après l’autre, mes quatre frères aînés furent mobilisés, et pour ma part, je souffrais de tuberculose qui m’interdisait même de poursuivre mes études comme je le désirais. Dans ces circonstances, chaque page de ce roman élargissait un peu plus ma découverte du monde et du cœur l’homme, plus vaste encore que la mer et le ciel.

Plus tard, au contact de mon maître qui vouait lui aussi à Hugo une très grande admiration, j’étudiais avec mes amis Quatrevingt-Treize. Nous nous pénétrions d’un esprit éclatant : la détermination courageuse à lutter pour les Droits de l’homme, le désir de partager avec tous, les trésors de l’éducation, en un mot, un vibrant amour de l’humanité. Tout cela reste à jamais gravé dans mon souvenir. Ce que nous apprenions des faits et gestes de Hugo illustrait le triomphe d’un homme que rien n’avait pu soumettre, malgré la tempête des critiques et des malentendus. C’est un grand encouragement pour nous qui nous engageons dans la création d’une nouvelle culture humaniste. L’époque actuelle a, plus que jamais, besoin de cette lumière de l’humanisme de Hugo.

Je ne cesserai de prier pour que cette maison devienne un « phare de l’esprit » qui fasse rayonner le noble esprit français de liberté, égalité, fraternité, vers le monde et vers l’avenir. À l’occasion du trois centième anniversaire de la naissance de Shakespeare en 1864, il y eut également une commémoration de cet événement à Paris. Hugo, alors en exil à Guernesey, envoya un message de félicitations. Les Français disait-il, glorifiaient l’Anglais Shakespeare. Et ainsi, en fêtant ce génie de la littérature, effaçant les frontières, ils fêtaient la terre entière. Dans un sens plus large encore, cela équivaut à glorifier la loi suprême de l’esprit, omniprésente dans l’univers.

Hugo prévoyait que la mise en commun des chefs-d’œuvre de la littérature était annonciatrice de l’union de toute l’humanité. Et il proclamait hautement : « C’est là l’œuvre que vous inaugurez ; œuvre cosmopolite, humaine, solidaire, fraternelle, désintéressée de toute nationalité, supérieure aux démarcations locales ; magnifique adoption de l’Europe par la France, et du monde entier par l’Europe. D’une fête comme celle-ci, il découle de la civilisation. »

J’aimerais voir avec vous tous, cette maison littéraire, jardin de la culture, fruit du grand espoir de notre Hugo, célébrer magnifiquement le bicentenaire de sa naissance en l’an 2002.

Nous ouvrirons ainsi l’entrée dans le siècle de l’homme et du peuple que Hugo appelait de ses vœux.

Pour finir, je souhaite à toutes les personnes ici présentes une santé meilleure, pour mener à bien tout ce qu’elles entreprendront, et je souhaite que ce grand pays, la France, perpétue à jamais la gloire d’avoir vu naître Victor Hugo.